Persuasif ou éthique, quel avenir voulez-vous designer ?

par Alexis Deny

15 mai 2018

Dans la sphère professionnelle comme privée, tout le monde a été confronté à un débat d’idée, une discussion, avec des points de vue différents selon les participants, mais dont une personne influence particulièrement son auditoire avec un discours, une hyperbole, une image qui fait écho en nous.

Il en est de même dans le digital, certaines idées que l’on ne pourrait pas présenter comme « révolutionnaires », nous étonnent et retiennent notre attention grâce à une conception et une adaptation au digital très efficace.

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Entre l’appli Meetic et Tinder, quelle interface capte le plus l’attention ?

La façon dont est présenté ce site ou cette application est tellement performante qu’elle modifie vos habitudes, votre comportement. Cela peut être insignifiant ou alors addictif, dans tous les cas nous sommes au coeur de ce que l’on peut appeler le « persuasive design ».

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Un design qui appelle la collaboration VS l’addiction ?

Mais alors on se sert sans cesse de nos faiblesses pour nous tromper ?

Bien maline serait la personne qui pourrait répondre par oui ou par non à cette question. En tant qu’utilisateur, chacun de nous place le curseur différemment entre « Woh c’est super ça ! Et puis il y a une bonne affaire à la clé » et « Ils abusent avec cet attrape-nigaud ! ».

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Et il est tout propre maintenant !

En tant que designer, la question de l’utilisation des biais cognitifs pour en tirer parti ne se pose pas de cette façon. Mais alors comment se situer par rapport aux connaissances que l’on a du comportement individuel et social des utilisateurs ? Jusqu’où aller dans la conception de dispositifs qui vont venir capter l’attention, et retenir de plus en plus longtemps ces moments d’attention ? Malheureusement, cet article ne donne pas la solution miracle, mais des pistes de réflexion.

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Sommes-nous des objets / des bouts de viande dans un supermarché ?

Des études ont montré l’effet « Tinder » qui implique une addiction à ces interfaces de « like or not », qui viennent abreuver l’utilisateur de profils de personnes en gamifiant les interactions possibles. Puisque l’utilisateur se représente désormais les personnes comme des entités d’une sorte de jeu, on retrouve les même émotions et sensations d’addiction et de recherche d’adrénaline (les fameux « match ») que celles éprouvées lors d’une partie de jeu vidéo.

Comment en est-on arrivé là ?

Au cours des 60 dernières années, les bons technologiques ainsi que les évolutions de disciplines engendre la définition de nouveaux critères d’évaluation de l’expérience utilisateur. Cela a aidé à suivre la création des nouveaux dispositifs de communication (digitaux ou non). Ceux-ci n’ont cessé de s’améliorer, tant est si bien que le niveau de recul ou de sagesse nécessaire pour maîtriser les conséquences de leur utilisation sur l’humain peine à suivre. Cependant, du point de vue utilisateur, les objets semblent de plus en plus intuitifs et simples à appréhender.

Mieux qu’un long cours d’histoire, voici une présentation sommaire qui aide à retracer ces évolutions :

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Évolution de l’inspection heuristique :
vers une intégration des critères d’accessibilité, de praticité, d’émotion et de persuasion dans l’évaluation ergonomique
, Eric Brangier, Michel Desmarais, Nemery Alexandra, Sandrine Prom Tep (2015)

Le design persuasif : un domaine à consolider

Le design persuasif se rattache à la « persuasive technology » qui utilise précisément des leviers d’influence sociale (engagement, identification, internalisation) et de persuasion (appel à l’émotion, à la raison, à la conformation). Souvent, le but est de capter l’attention du public, et pourquoi pas de l’engager dans le discours prôné, voire de le faire consommer. Les études (récentes ou pas) en sciences cognitives pour établir une carte des décisions humaines, des faisceaux d’influences de ces décisions et des biais humains viennent nourrir le champs des technologies persuasives.

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Vous ne prendrez qu’un café ?

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En prenant cette boisson,
vous rapprocherez-vous de votre idole Usain ?

Némery & Brangier ont essayé de rationaliser les dimensions de persuasion en formalisant 8 heuristiques d’évaluation :

Critères statiques :

  • Crédibilité : Expliciter la capacité de l’interface à inspirer confiance

  • Privacité : Respecter des données personnelles et augmentation du sentiment de sécurité et de confidentialité

  • Personnalisation : Adapter l’interface à l’utilisateur en individualisant la relation

  • Attractivité : Utiliser les éléments de surface pour capter l’attention et renforcer les messages

Critères dynamiques :

  • Sollicitation : Amorcer la relation par une suggestion qui va amener l’utilisateur à faire librement ce qu’on attend de lui

  • Accompagnement initial : Piloter les premiers pas de l’utilisateur en le guidant dans ses interactions

  • Engagement : Continuer d’impliquer l’utilisateur en augmentant l’intensité des demandes

  • Emprise : Dernière étape du scénario d’engagement. Forte influence du système, mise de l’utilisateur sous dépendance

Ils expliquent que ces critères ne se substituent pas à ceux d’accessibilité, d’utilisabilité et d’« emotional design ». Ces critères viennent compléter ceux de Nielsen, Bastien et Scapin par exemple, voire les superposent en partie. Nous pourrons toujours inventer de nouveaux critères en vue de compléter les insuffisances des précédents, et il n’y a pas de « playbook » idéal sur la méthodologie et l’angle sous lequel évaluer un dispositif digital.

Et l’éthique dans tout ça ?

J’y viens justement. Dans les associations et communautés d’ergonomes, d’UX Design, revient souvent la question de l’éthique. Existe-t-il une charte unifiée qui viendrait couvrir tous les points de friction de la morale du concepteur, telle une théorie du tout éthique ? Pas à ma connaissance.

On se rend compte tout d’abord qu’il n’y a pas une éthique une et indivisible, mais que ces critères et modalités fluctuent en fonction de l’époque, de la situation géographique, de la culture locale voire du régime politique en place.

Cependant, en creusant ne serait-ce qu’un peu, on trouve trace de plusieurs tentatives isolées (trop isolées ?) très intéressantes. En les recoupant, chacun peut se faire une idée du chemin à parcourir dans ce domaine.

Voici quelques références :

  • Une charte d’après François Daniellou

  • Pour tout ce qui de l’utilisabilité, une charte de 2005 a été éditée par l’UXPA

  • L’ACM (Association for Computing Machinery) a adopté une charte éthique plus complète depuis 1992

  • Et enfin, l’AFD (alliance française des designers) a publié un code de déontologie assez fourni également.



Dès lors qu’est-ce qu’un bon design ? Un design éthique ?

Cela passe d’abord par un respect, une honnêteté vis-à-vis des futurs utilisateurs. Un contrat moral passé avec eux qui dirait « Je recueille vos besoins, vos attentes concernant un produit ou un service. J’y intègre mes connaissances en tant que designer / ergonome / expert en psychologie cognitive. Je m’engage à ne pas vous tromper, que le produit ou service vous serve, et vous serve bien ! ».

L’enjeu ici n’est plus de capter « du temps de cerveau disponible », mais de peser sa responsabilité individuelle dans le design, de jauger l’impact sur les utilisateurs, et d’anticiper le type de société digitale dans lequel nous voulons évoluer.

Reste maintenant à s’entendre sur un cadre clair à ne pas dépasser concernant ce design persuasif, ce design de l’attention. Ainsi, la prévention des erreurs de conception menant à des addictions chroniques (autoplay Netflix, scroll infini Facebook) en sera facilité.

Pour moi en tout cas, le mieux est d’en parler, d’échanger autour de ce sujet, de sensibiliser de plus en plus de monde (proches, collègues, entreprises …).

À nous de jouer !



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Bibliographie :

  • Thoughts on Persuasive Technology, BJ Fogg, Stanford University (2010)

  • Évolution de l’inspection heuristique: vers une intégration des critères d’accessibilité, de praticité, d’émotion et de persuasion dans l’évaluation ergonomique, Brangier & Némery (2015)

  • Webinaire — Le design éthique, Designers éthiques

  • Ethics for Design, Gauthier Roussilhe (2017)

  • How better tech could protect us from distraction, Tristan Harris (2014)

7 exemples de mise en conformité RGPD

Vous avez sûrement entendu parler de ce nouveau règlement européen sur la protection...